Quand la finance se penche sur la médecine de ville

La finance s’intéresse aux centres de santé. Après les chaînes de cliniques commerciales rachetant des centres de santé, ce sont désormais des groupes spécialisés qui se créent pour investir la médecine de ville sous couvert de centres de santé. Il n’aura fallu qu’une ou deux décennies pour que les centres de santé sortent de la marginalité pour arriver sur le devant de la scène. Entretemps, la médecine libérale, encore dominante numériquement et idéologiquement, est passée du statut de solution obligée à celui de problème.

Problème d’un modèle en silo, gouverné par autant de conventions libérales que de catégories de professionnels. Neuf conventions au total et autant de règles propres. Des Professionnels exerçant chacun à son compte, quand la norme est devenue le travail en équipe pour répondre à l’évolution des besoins. Maladies chroniques et complexes, continuité des soins, prévention, incompatibles avec les tarifications à l’acte curatif. Ces nouveaux besoins appellent de nouveaux financements, pour l’ensemble de l’équipe, forfaitaires, ajustés selon la charge de patientèle accueillie et sur les missions territoriales et sociales remplies.

Les MSP, un modèle inabouti

Les Maisons de Santé Pluriprofessionnelles, regroupant des libéraux, ont longtemps semblé devoir être la solution. Exercice regroupé, accessibilité pour les patients, pratiques innovantes. Avant que les limites du modèle ne soient constatées. Comment répartir des honoraires versés dans un pot commun, en cas de désaccord sur les mérites de chacun et la taille de sa part ? Comment corriger un désert médical si les praticiens ne décident pas de venir s’y installer ? Les premières évaluations de l’expérimentation PEPS (paiement en équipe des professionnels de santé) ont fait apparaître que le financement hors paiement à l’acte fonctionnait mal pour les MSP. Alors que le modèle Centre de santé était parfaitement adapté aux forfaits. Seules 3 MSP sur les 13 initialement engagées ont poursuivi l’expérimentation PEPS à ce jour.

En attendant le service public territorial de santé

Marisol Touraine avait annoncé en 2013 un service public territorial de santé. Avant de renoncer, cédant aux pressions de la médecine libérale, remplaçant piteusement le service public par un service de santé au public puis par un nouveau concept, celui des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui furent crées par la Loi en 2016. La théorie du moment était que les professionnels libéraux allaient se regrouper spontanément, et former des communautés. Idée soutenue par l’assurance maladie sommée d’ouvrir les robinets financiers, et par les ARS à la manœuvre. Un bon tiers des 1000 CPTS prévues aura vu le jour après 7 ans, ce qui est plutôt honorable. Un autre tiers est en projet à des stades divers. Là où ces CPTS existent, elles rendent des services appréciables aux professionnels. Problème, reposant sur le volontariat les CPTS risquent de ne convaincre que ceux qui étaient déjà convaincus. Et de se heurter aux habituels corporatismes. Nos technocrates ont-ils sincèrement cru que de farouches individualistes allaient rejoindre des organisations collectives sans sourciller ? Est-ce bientôt la fin de la partie ?

Les prédateurs guettent

Médecine libérale crépusculaire, service public territorial de santé orphelin de pouvoirs publics successifs à la main molle, le champ est libre pour de nouveaux acteurs. Au grand dam de leurs promoteurs historiques, les centres de santé sont en passe de devenir le nouveau cheval de Troie de la finance. Depuis la Loi HPST certains acteurs des centres de santé avaient commencé à pactiser avec le côté obscur de la force. C’est le directeur général de la MATMUT qui préconise l’introduction en centre de santé “d’une offre complémentaire libérale, pouvant déroger au secteur 1”, dans une publication en partenariat avec l’ANAP (p.53). Désormais, de nouveaux acteurs disposant de certains moyens, sont en train de prendre place sur le marché de la médecine de ville. Ce sont des financiers. Leurs recettes ? Se positionner sur des actes faciles, comme les soins non programmés et sur des actes techniques à forte valeur ajoutée, voire sur des actes aux tarifs libres. Éviter de prendre en charge les patients complexes et les publics maîtrisant mal la langue et les codes sociaux.

les gros mangeront les petits

Leur modèle s’est rodé dans le secteur dentaire et ophtalmologique. Il est construit autour de faîtières commerciales placées au sommet de réseaux d’associations filles, non lucratives en façade, portant principalement les ressources humaines, avec un projet de santé plus vrai que nature et un numéro Finess. Ces associations remontent les bénéfices vers les sociétés faîtières en contrepartie de droits d’usage de la marque, de services divers et autres prestations obligées. Si l’on n’y prend garde, l’évolution naturelle de ce monde se fera vers une concentration progressive, respectant les lois inscrites dans les gênes d’une organisation de type capitalistique. Les gros mangeront les petits. Craintes excessives ? Chacun a en mémoire l’extraordinaire concentration intervenue en à peine plus d’une décennie dans la biologie médicale. Cinq grands groupes financiers dominent désormais le marché national. Une évolution analogue est en cours dans la radiologie. Est-ce maintenant le tour des soins de ville ? Bien imprudent ou alors complice serait celui qui affirmerait que la menace est imaginaire.